La collection “Exofictions” de chez Actes Sud n’est (à tort) que rarement dans mon radar… Un tour en librairie à la recherche d’une quatrième de couverture aguicheuse a été l’occasion de corriger cela. J’ai ainsi lu “Sauter des gratte-ciel” de Julia von Lucadou. Ce récit dystopique a remporté le prix suisse de littérature en 2019, et c’est une très bonne pioche.

Riva est une star, elle plonge du haut des grattes-ciels devant les caméras qui immortalisent ses figures. Mais une soudaine dépression la ronge. Une jeune psychologue va tenter de trouver la cause de son malaise, mandatée par les actionnaires de la société de divertissement qui emploie Riva…

Nous sommes face à une science-fiction sociale qui brasse des thèmes classiques mais de manière fort cohérente. Tout d’abord le contraste économique fort entre le centre ville gentrifié, artificiel et aseptisé et les périphéries à l’hygiène de vie déplorable. Un système de surveillance de tous par les médias et les réseaux sociaux contrôle la population et en évalue les mérites via un crédit social. Les employeurs sont dans leur bon droit d’imposer des exercices physiques ou de yoga à leurs employés, dans une société qui voue un culte à la perfection des corps et au succès de carrière. Car l’hyper capitalisation du système économique et social, illustrée par les marques déposées omniprésentes et la culture du chiffre, est hégémonique.

J’ai beaucoup aimé les partis pris d’un texte qui ne prend jamais son lecteur pour un idiot : on comprend les rouages de cette société par le biais de l’intrigue, petit à petit, sans que celle-ci ne soit éclipsée par les thématiques sociétales pour autant. Aussi, on finit par réellement s’attacher aux personnages, Riva en tête mais également la narratrice du récit. La plume de Julia von Lucadou est particulièrement fluide, et joue des anglicismes pour appuyer son propos. 

“Sauter des gratte-ciel” est une excellente surprise, une dystopie plus subtile que la moyenne doublée d’une analyse glaçante de notre société numérique et de ses dérives. Ce roman témoigne du renouvellement réussi d’un genre toujours pertinent.

Édité en VF en poche dans la collection upload chez Actes Sud