Huxley, Bradbury, Orwell … Et Karin Boye. L’écrivaine suédoise pâtit d’un manque de notoriété bien dommage face aux écrivains dystopiques les plus célèbres du XXe siecle. “Kallocaïne” est pourtant un modèle du genre. Publié pour la première fois en 1940, sa lecture n’en reste pas moins glaçante en 2024…

Leo Kall travaille comme chimiste pour l’État Mondial. Il met au point la kallocaïne, un sérum de vérité qui, injecté sur un patient, lui fait révéler tous ses secrets. La possibilité pour la police d’enfin traquer ceux qui, en silence, remettent en cause le bon fonctionnement de l’État.

Dans cet État fortement militarisé, où la vie sociale est encadrée et obligatoire pour éviter tout comportement associal ou solitaire, hommes et femmes vivent sous l’oeil inquisiteur de la police et de leurs concitoyens, appelés à surveiller leur famille et leurs voisins et à dénoncer les éléments subversifs (comme la culture du “donos” sous Staline en Russie). L’extinction de toute tentative de rébellion intérieure et la guerre extérieure semblent être les deux piliers du gouvernement, donc les organes de surveillance s’invitent jusque dans l’intimité des foyers.

Forcément, on pense à l’URSS d’alors, à la Corée du Nord d’aujourd’hui. Karin Boye parvient à nous faire entrer dans la tête d’un citoyen au raisonnement formaté et éduqué par une propagande étatique constante dès le plus jeune âge. Dans un tel système, les questionnements finissent toujours par advenir, et les personnages luttent pour maintenir une façade présentable pour éviter la délation. Ou alors, ils optent pour une stratégie plus offensive : dénoncer son prochain avant de l’être à son tour.

“Kallocaïne” est une dystopie qui figure parmi les classiques du genre. De part sa narration à hauteur d’homme, un homme soumis aux injonctions d’un État policier, Karen Boye montre le pouvoir de la propagande, du formatage des esprits et de l’aliénation sociale qui découle d’une perte de la liberté individuelle au profit d’un collectif uniforme et obéissant. Édifiant, plus de 80 ans après sa première publication en Suède.

Édité en VF chez Les Moutons Electriques. 


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