Parlons d’un chef d’œuvre aujourd’hui, du grand roman d’Ursula le Guin, son traité de sociologie, son analyse la plus poussée des organisations humaines : “Les dépossédés”. Si la grande dame a écrit bien des belles histoires, c’est probablement celle-ci que la postérité retiendra.
Urras est une planète à la nature opulente, mais organisée selon un modèle capitaliste. Des riches, des pauvres, le besoin d’avoir toujours plus et de dominer. En orbite, sur la lune d’Annares, vivent les descendants des anarchistes qui avaient refusé ce système. Ils ont mis en place un socialisme sans chef ni État.
Le récit s’intéresse en tout premier lieu à ce modèle social que serait un communisme sans pouvoir central, basé sur la solidarité. L’individu y est tout autant effacé face au collectif que libre de faire ses choix. Une ambiguïté qui fait refuser le terme d’utopie, et tant mieux, car Ursula le Guin va décortiquer chacun des aspects de cette société laboratoire : l’éducation, les principes, l’organisation du travail, la vie personnelle, affective et sexuelle, le développement personnel… Sans argent, sans prospérité, sans laissés pour compte, à quoi ressemblerait le monde ?
Le personnage principal est physicien. Il n’est qu’un véhicule pour toutes les idées développées dans le récit. Mais la vie de cet individu cultivé, réfléchi et purement socialiste tout à la fois, une fois confrontée au monde capitaliste, ne manque pas d’intérêt par elle-même. Car un peu comme les “lettres persanes” de Montesquieu en leur temps, c’est par les yeux de l’étranger que l’absurdité de notre société capitaliste nous est présentée.
“Les dépossédés” est un immense roman de science fiction dans ce que le genre permet de plus vertigineux : interroger les hommes, leurs organisations et leurs choix de société, en les mettant en perspective avec des modèles nouveaux. Publié pour la première fois en 1974, en pleine guerre froide, ce récit est plus que jamais d’actualité.
Edité en VF en grand format chez Robert Laffont (collection “Ailleurs et demain”) et en poche chez Le Livre de Poche Imaginaire.
